Il y a très longtemps, sur une île où il faisait toujours chaud, vivait un crabe savant. Il réfléchissait beaucoup et il connaissait tout sur tout. À l’époque, le crabe avait un cou très long avec une petite tête qui se balançait de droite à gauche. Et surtout, il marchait tout droit. Dans cette île, vivait aussi une terrible ogresse... Cette ogresse avait une voix si forte qu’on l’entendait à l’autre bout de l’île. Chacun en avait peur, car elle engloutissait tout sur son passage et nul ne résistait à son appétit. Bizarrement, personne ne savait comment elle s’appelait. On disait parfois que celui qui découvrirait son nom aurait le pouvoir de la faire disparaître à jamais. Or, le seul qui savait son nom, c’était... le crabe ! Un jour que celui-ci se promenait sur la plage, il aperçut une jolie petite fille aux cheveux bouclés. Il s’approcha... Des larmes roulaient sur ses joues. - Pourquoi pleures-tu petite belle ? demanda le crabe. - Je pleure parce que ma tante dit qu’elle me mangera toute crue à moins que je devine son nom, répondit la fillette. Le crabe réfléchit : - Ta tante serait-elle cette ogresse qui nous casse les oreilles ? Est-ce qu’elle est plus grande qu’un arbre ? - Oui ! répondit la petite fille. - Est-ce qu’elle est plus grosse qu’un hippopotame? - Oh ! oui, s’écria la fillette. Tu la connais ? - Peut-être... murmura le crabe. Puis il ajouta : est-elle aussi très, très laide ? - Pour sûr, elle est affreuse, dit la petite. Encore plus que toi ! Le crabe fut un peu vexé et il répliqua : - Mais si ta tante est si méchante pourquoi restes-tu chez elle ? La petite fille pleura encore plus fort : - Parce que mes parents viennent de mourir et que je n’ai nulle part où aller. Le crabe n’aimait pas voir les enfants pleurer, aussi il souffla : - Je vais te dire le nom de l’ogresse, comme ça, elle ne t’embêtera plus. Tu sais, personne ne sait ce nom, à part moi. Elle s’appelle... Grosse Chélime ! La petite donna au crabe un baiser pour le remercier. Celui-ci rougit et demanda timidement : - Comment t’appelles-tu ? - Dali, répondit la petite fille bouclée. Et je serai toujours ton amie ! Puis elle partit en courant. Quand elle arriva chez sa tante, l’ogresse sourit de ses grandes dents et s’écria : - Ah, ma nièce ! Tu tombes bien car je préparais une sauce pour te manger ! - Non ! rit Dali, tu ne me mangeras pas ! - Comment ça ? gronda l’ogresse. Aurais-tu découvert mon nom ? - Oui ! parfaitement, répondit Dali. - Ça m’étonnerait, reprit sa tante de sa grosse voix. Personne ici ne sait comment je m’appelle. - Eh bien moi, je sais ! s’exclama la petite fille, car le crabe me l’a dit ! Tu t’appelles... tu t’appelles... Grosse Chelime ! - Maudit crabe ! hurla la vilaine ogresse. Puis elle gémit : Ouille ! ouille ! J’ai mal ! Elle commença à se tordre de douleur et partit en courant sur la plage. Elle voulait se venger du crabe et le trouva à l’ombre d’un palmier. - Vilain crabe ! gronda-t-elle, j’aurais dû te faire bouillir depuis longtemps ! Je vais mourir, mais toi aussi ! Je vais t’écrabouiller ! - Non, non ! supplia le petit crabe en reculant. L’ogresse leva son énorme pied au-dessus du crabe et crac ! Elle écrasa sa carapace d’un seul coup puis s’écroula dans le sable, raide morte. Le petit crabe fut assommé mais, heureusement, il ne mourut pas. Seulement, son cou resta coincé dans sa carapace et il ne pouvait plus sortir sa tête. Et quand il se remit en route, voilà qu’il marchait de travers ! Il ronchonna : - Voilà ce que ça m’apporte d’aider les petites filles ! Dorénavant le crabe n’eut plus de cou et ne marcha plus jamais droit, mais il s’était fait une amie. Dali revint souvent le voir. Le soir, au coucher du soleil, le crabe s’installait auprès d’elle et lui racontait les plus belles histoires qu’il connaissait. Et il en connaissait beaucoup...